La création en téléprésence exige un temps de préparation et d’adaptation pour toute l’équipe. Elle exige de l’équipe souvent plus de temps de recherche, de réflexion, de préparation, de communication, d’adaptation et de répétition qu’un événement dans un seul lieu. Une résidence préparatoire et des essais avec les équipements vont permettre à tous les créateurs autour de l’oeuvre de saisir ses enjeux et mieux comprendre ce langage artistique.
Pour l’interprète, le travail en téléprésence représente un défi d’ajustement. Celui-ci doit diviser son attention entre ses partenaires de jeu et les différents publics, local et distant. Il doit non seulement jouer et garder contact avec le public devant lui dans la salle, et ce malgré la distraction de l’appareillage technologique, mais il doit aussi continuellement garder une attention au public des autres salles.
Un degré de difficulté s’ajoute lorsque l’espace est tout autour de lui. Par exemple, lorsqu’il est en rapport frontal avec un public et que la projection de l’autre public est au fond de la scène. Celui-ci doit partager son attention entre deux côtés.
Qui bougera 2.0 est un spectacle d’improvisation dansée à distance en cours de création, les interprètes devront, lorsque le public sera en salle, travailler avec le partenaire d’un côté et le public de l’autre.
Certains interprètes vivent une perte de repères quant aux conventions d’adresses et peuvent se sentir dépassés par la pluralité des éléments à considérer dans le schéma de la communication. Cela entraîne une sensation étourdissante sur le plan de la concentration.
La solution à préconiser, afin que la présence de l’interprète soit unifiée dans toutes les salles, est de favoriser un équilibre constant entre le contact public et le contact caméra (autre salle).
Voici quelques pistes de solution comme exemples :
Diviser constamment son attention entre la caméra et le public en s’amusant entre les niveaux de regards: adresse au public, adresse aux collègues, adresse à soi-même, adresse à la caméra et adresse à la vidéoprojection.
Ne pas prioriser une adresse à une autre, chercher à être complice avec tous les niveaux.
Utiliser la puissance d’évocation du regard et jouer de l’intimité que nous pouvons créer avec la caméra. Le performeur dispose de plusieurs possibilités afin de créer une relation unique et empathique avec les publics des autres salles.
Adapter les séquences de sa performance à ces conditions d’éparpillement.
Organiser sa performance et marquer ses positions dans l’espace.
Visualiser les expériences que procurent les autres salles aux publics et accepter une perte de contrôle de certains paramètres de la communication avec eux.
Le fait de varier ses adresses aux différents médias peut permettre à l’interprète de décloisonner son jeu et à ce titre, les répétitions servent grandement à explorer les limites des espaces de jeu.
L’interprète doit aussi adapter son niveau de jeu. Certaines scènes vont nécessiter un jeu plus théâtral et d’autres un jeu plus cinématographique. L’alternance entre différents niveaux de projection du corps et de la voix est un enjeu notable pour les interprètes en téléprésence comme tout spectacle utilisant de la vidéo sur scène. En contexte de gros plan, par exemple, il doit respecter un cadrage particulier, un niveau de jeu plus réaliste et éviter les mouvements trop précipités. Par contre, même si la caméra le capte en gros plan, le reste de son corps doit rester actif et vivant pour le public qui le regarde dans la salle.
Le projet CorresponDanse de guerre navigue entre un jeu à la caméra et un jeu théâtral.
L’interprète doit trouver sa liberté de jeu à l’intérieur des paramètres techniques et cela exige une période d’adaptation.
S’approprier les codes du langage en mode téléprésence exige du travail et de la concentration. Il est fortement recommandé d’amorcer ce travail par une phase d’automatisation, afin d’apprivoiser la technique, et de faire ses gammes tout au long de l’apprentissage des nouvelles contraintes. Il faut aussi tenir compte du fait que le dispositif technique est souvent intrusif, ce qui demande à l’équipe d’accepter que les premiers essais puissent être peu concluants (problèmes techniques, déconcentration, etc.).
Il est important que les interprètes qui se « mettront en danger » sur scène jouissent du temps nécessaire pour s’approprier l’environnement de jeu : le comprendre, trouver ses repères, visualiser les projections à distance et autres considérations de jeu.
Exemple d’exercices:
Pour intégrer progressivement le matériel technologique, il faut laisser les interprètes prendre des libertés avec les niveaux de jeu, proposer des interactions avec lesquelles ils se sentent à l’aise et assimiler les éléments graduellement (micro, caméra, projection, etc.). Lorsqu’on les sent en contrôle, on peut :
Faire répéter un extrait de leur partition (texte, chorégraphie, pièce musicale, etc.) en donnant simultanément des indications techniques, comme où diriger son regard et à qui s’adresser (caméra, salle, partenaire, etc.), puis aider à trouver le ton, le rythme, le tonus corporel et le regard approprié pour chaque type d’adresses.
Prendre le temps de maîtriser et comprendre les limites des différentes composantes techniques de l’installation. En improvisant avec l’aide des régisseurs vidéo, en jouant avec les perspectives, les cadrages et les plans de caméra, ou encore en créant des images et des interactions nouvelles, les artistes s’approprient le vocabulaire de la téléprésence et comprennent ses possibilités artistiques.
La création en téléprésence représente un réel défi de communication entre les équipes de création des différents lieux. Comme le canal de communication implique des intermédiaires technologiques, la communication n’est pas aussi directe que la rencontre à huis clos, les interférences sont plus nombreuses et les réponses arrivent avec un plus grand décalage.
Ces situations peuvent irriter, impatienter et augmenter le stress des responsables clés (mise en scène, chorégraphie, rédaction, composition, technique, etc.) qui doivent accepter de niveler vers le bas leurs attentes en termes de communication. Il devient alors utile de diversifier les formes d’échanges (texte, audio et visuel) et d’être le plus clair possible pour éviter toute interprétation.
La personne responsable de la mise en scène doit aussi apprendre à diriger à distance et accepter de faire confiance à ses collaborateurs dans l’autre salle. Même si la technologie en place est efficace, elle ne remplace pas des yeux et des oreilles. Nous préconisons l’installation d’un moniteur avec une caméra plan large pour voir en direct en tout temps dans l’autre salle. Malgré cela, il faut assumer que certains éléments nous échapperont et que nous ne pourrons contrôler l’ensemble des points de vue dans chacune des salles.
Pour travailler le spectacle Bluff la metteuse en scène Mireille Camier travaille avec des moniteurs qui lui permettent de voir ce qui se passe sur les 3 scènes simultanément.
Afin de créer une meilleure cohésion d’équipe, nous suggérons de prendre un moment à chaque fin de répétition pour un tour de table avec les groupes séparées pour discuter de la journée. Le travail en téléprésence peut créer un sentiment de vide et de solitude lorsque les séances se concluent. En effet, une fois la communication terminée, les deux équipes se retrouvent seules chacune de leur côté et l’esprit d’équipe peut en être affecté. Les sessions de travail paraissent abruptes si on ne prend pas des périodes transitoires vers le départ.