La section Observations de projets se veut un espace de partage de connaissances sur un certain nombre de projets scéniques en téléprésence. Les études de cas présentées ci bas permettent de partager quelques expériences pertinentes avec la communauté de praticiens, en répondant notamment aux questions suivantes :
Onirisme est le second projet de téléprésence de la créatrice Isabelle Clermont, dont la première expérience, mêlant performances musicale et corporelle, s’intitulait Les Offrandes. Pour Onirisme, cette dernière souhaitait développer une œuvre qui soit à la fois riche et significative pour chacun des lieux connectés. Les intentions artistiques abordent à la fois la mise en scène et des méthodes de travail propres à la téléprésence.
La projection vidéo sur écran conventionnel peut souvent mener à un effet de mise à plat du contenu mis en scène. L’un des objectifs du projet Onirisme était donc de dynamiser l’espace scénique immersif à l’aide de surfaces de projection maléables, avec lequelles pouvaient intéragir les artistes.
Sur le plan scénographique, une surface de projection conventionnelle est installée à l’arrière de la scène surélevée, tandis qu’une autre consiste en un long spandex, installée plus bas et perpendiculairement à la scène. Cette surface élastique et maléable permettait de mettre en relation le corps des interprètes avec un élément de la mise en scène.
En effet, les interprètes pouvaient manipuler cette surface de projection, affichant l’image en provenance de l’autre lieu, pour faire manifester la présence ou l’absence du partenaire distant. En complément, des pendrillons en tulle éclairés, situés de part et d’autre du cadre de la scène, contribuaient au caractère dynamique et immersif de la scène.
Le recours à un grand nombre de surfaces de projection implique des ressources matérielles supplémentaires qui peuvent augmenter le niveau de complexité technique et les coûts associés au projet.
Suite à une première expérience, où l’équilibre entre les deux lieux semblait inégal par moment, la créatrice a souhaité rectifier la performance pour obtenir une intensité similaire de chaque côté.
En établissant une égalité des plateaux, la performance implique dorénavant la présence d’un-e interprète et d’un-e musicien-ne sur la scène de chaque lieu, en plus de présenter une installation scénique identique. En contrepartie, ce sont plutôt les actions des performeurs-euses qui diffèrent ou se complètent.
Par exemple, alors qu’une personne au lieu A se trouve dans un bain, la personne au lieu B crée des formes sur elle avec des acétates.
De plus, l’interdépendance entre les deux lieux permet de les mettre respectivement en valeur pour tous les publics; le dialogue entre les interprètes distants a été équilibré de sorte que le niveau d’expérience médiate et immédiate soit égal pour chaque public. Cette approche a permis de créer une expérience de valeur semblable pour chaque lieu et évite que le public d’un lieu soit seulement spectateur de ce qui se passe dans l’autre lieu.
Lors de sa première expérience en téléprésence, l’artiste avait peu conscience des contraintes du travail à distance. C’est pourquoi, des séances de travail préparatoire ont été initiées en amont de la résidence de Onirisme, pour que les partenaires puissent d’abord développer une chimie de travail dans une interaction plus direct et faciliter la poursuite du travail une fois à distance.
Ainsi, les deux interprètes ont eu l’occasion de dialoguer et de se rencontrer en personne lors de répétitions où, avec l’aide d’une chorégraphe, ils ont simulé la distance en s’isolant l’un de l’autre au sein de l’espace.
De leur côté, les musiciens ont pu échanger des extraits musicaux pour définir l’univers de chaque tableau, ne nécessitant par la suite que très peu de direction. Ces premières rencontres en personne, qui ne sont pas toujours possibles, se sont avérées, dans ce cas, un moyen efficace de développer une symbiose entre les partenaires et de plus facilement s’adapter au travail à distance par la suite.
Le développement du projet Bluff s’est échelonné sur plusieurs résidences. Ce processus a permis à l’équipe de création d’apprivoiser le médium de la téléprésence et de construire une œuvre de manière exploratoire et itérative. Les enjeux de recherche ciblés au moment de la seconde résidence ont été importants pour élaborer les bases du projet; il a été question de s’interroger sur le type de texte dramatique et les thèmes propices à la téléprésence, sur une scénographie permettant la spatialisation d’une assemblée circulaire - où trois publics distincts sont présents et se voient simultanément - et sur l’engagement du public dans le spectacle.
Ne parvenant pas à transposer un texte traditionnel dans le contexte de la téléprésence, l’équipe a décidé d’écrire son propre texte. La dramaturgie s’inspire des écritures contemporaines plus fragmentées et dans lesquelles les acteurs jouent leur propre rôle. L’objectif est de créer une interdépendance de jeu entre les acteurs et avec le public pour ancrer le texte dans l’actualité de la représentation.
Le texte a été composé à partir de jeux d’improvisation des acteurs. Le fait de jouer une situation actuelle fonctionne bien en téléprésence; le public remarque un “dégradé entre le non-spectacle et le spectacle” où l’on ne sait plus exactement si l’acteur joue un rôle ou non. De plus, le thème de la vérité et de l’authenticité trouve son écho dans l’expérience proposée aux spectateurs (comme une mise en abyme).
Sur le plan scénographique, le point de départ est de permettre aux acteurs de discuter ensemble de façon naturellee, en plus de pouvoir voir et s’adresser simultanément aux publics.
L’espace scénique proposée comprend deux grands écrans disposés en fond de scène, avec un angle de 120˚ entre eux, et qui affichent les publics distants pour créer une assemblée circulaire.
À cela s’ajoutent des écrans verticaux mobiles pour y projeter les protagonistes de la tête aux pieds.
La scénographie imaginée favorise l’adhésion, tant des acteurs que des publics, à l’expérience proposée. L’utilisation des écrans verticaux permet notamment de créer des scénographies sur mesure qui renforcent l’impression que les acteurs «jouent ensemble» grâce à la coordination naturelle des gestes et des regards.
Les deux grands écrans de fond de scène affichent tantôt les publics distants, tantôt les scènes distantes et parfois des éléments de contenu partagé (images).
Les acteurs se trouvent souvent dans une position bifrontale, avec le public face à eux et les autres acteurs/écrans en arrière. L’interprétation étant principalement guidée par la voix plutôt que par la vue, cela a nécessité une certaine adaptation - avec succès - de leur part.
L’interaction avec le public est envisagée comme moyen de rendre l’expérience de téléprésence plus dynamique et vivante. L’objectif est de mettre de l’avant l’expérience collective événementielle à travers une série de jeux permettant non seulement de connecter les acteurs avec le public, mais également de faire une démonstration de l’immédiateté de la téléprésence, puisque la participation du public a un impact sur l’expérience proposée.
L’interaction permet aux acteurs de se connecter avec leurs publics respectifs et de se sentir moins seul sur scène. Les stratégies employées varient de l’aparté (l’acteur seul avec son public) à des moments de vote collectif où les publics se prononcent sur une situation d’une scène distante.
L’interaction démontre ainsi au public que l’expérience a bel et bien lieu en direct. Il est important d’aller au bout de ce parti-pris pour que le public soit véritablement conscient que son action a une répercussion dans le jeu.
BiblioMix est l’un des premiers projets qui connecte trois lieux pour une journée entière, en ayant pour vocation à la fois de démontrer les possibilités de la téléprésence à un large public, et de faire participer l’ensemble de ce public à une activité d’idéation. Les questions de recherche abordent principalement les moyens de mettre en œuvre un tel projet.
L’objectif était de créer une scénographie qui favorise les rencontres et les échanges, en garantissant le contact visuel entre tous les participants. Étant donné que le programme de la journée est chargé, il est important de trouver une scénographie qui fonctionne pour toutes les activités afin de garder une connexion de téléprésence stable. Pour composer avec les contraintes de toutes les salles en termes d’équipement disponible et de qualité du réseau, le choix a été fait de limiter l’équipement et les flux, en utilisant seulement 3 écrans et 2 caméras.
La scénographie élaborée, avec deux grands écrans placés dans un angle de 120 degrés face à chaque public, donne la sensation d’une grande assemblée circulaire. La spatialisation du son, qui raccorde le son à l’image, complète l’immersion dans l’expérience et permet de distinguer facilement d’où vient l’interaction. En positionnant une caméra devant chaque écran projetant les publics distants, le jeu de regard fonctionne bien. De plus, on cherche à reproduire un effet de taille humaine, qu’il est parfois difficile d’obtenir. Le plan de caméra des publics fonctionne mieux dans les salles où le public est regroupé plus étroitement, permettant aux autres salles de voir l’ensemble du public.
La décision de positionner les conférenciers dos à leur public local pour faire face aux salles distantes, a favorisé le contact à distance mais il était difficile de créer une interaction entre celui-ci et sa propre salle. Cette relation était déstabilisante d’autant plus que les conférenciers n’étaient pas préparés. Un micro-casque pour le conférencier aurait maximisé sa capacité à se tourner pour regarder son public comme s’il était au centre d’un cercle. La position du conférencier dans ce contexte reste à développer.
Deux jeux ont été proposés, donnant la parole aux participants pour tester différents formats d’activité et type d’interaction.
L’intention initiale était de créer des groupes de travail inter-régionaux mais cela demandait une logistique trop lourde. Finalement, le principe proposé était de construire sur les idées de chaque lieu à travers plusieurs phases de travail (brainstorming, bonification, synthèse). Chaque question passait donc de salle en salle au moyen d’un fichier partagé.
Afin de rendre l’exercice encore plus porteur, il aurait aussi été pertinent de revenir en plénière pour présenter les fiches-idées et que les résultats des réflexions de la journée soient diffusés au maximum dans les différents réseaux.
Pour toutes les activités proposées (jeux et idéation) on retiendra qu’il est essentiel de tester le déroulement à l’avance et de faire une répétition afin que tous les animateurs puissent prendre leurs repères et soient pleinement en confiance avec l’exercice.
Créez un cirque avait comme objectif de concevoir un atelier pour les jeunes de Montréal et de Victoriaville en réunissant trois expertises distinctes : les arts visuels du Centre d’art Jacques-et-Michel-Auger, les arts du cirque de la Tohu et la formation en art numérique du Campus SAT. L’équipe du projet a donc développé un atelier de co-création en téléprésence durant lequel des jeunes participant.e.s créaient un court film d’art avec la technique d’animation image par image sur le thème du cirque. Les questionnements artistiques qui en ont découlé abordent l’installation et les éléments favorisant la co-création à distance.
Afin d’obtenir une surface vidéo commune pour la création du court métrage, l’équipe de conception a choisi de travailler directement au sol afin de positionner une caméra en hauteur et séparer la surface vidéo en deux parties. Chaque ville a ainsi animé sa moitié d’écran : les participant.e.s de Montréal créaient dans l’espace de gauche en dessinant avec leurs corps et en utilisant des accessoires, alors que les participant.e.s de Victoriaville utilisaient similairement l’espace de droite. Le créateur vidéo, Sébastien Lafleur, a donc pu réunir les deux images afin de créer le court métrage.
Le fait de travailler au sol facilitait certainement la création d’images de l’univers du cirque. Les participant.e.s pouvaient aisément imiter des figures telles des acrobaties ou de la jonglerie, sans toutefois nécessiter une expertise circassienne.
Dans chaque ville, un grand écran projetait le collage des deux moitiés d’écran. Grâce à cette projection, les participant.e.s de Montréal et de Victoriaville pouvaient observer le résultat visuel qui réunissait leurs propres mouvements et ceux de l’autre groupe.
Pour Créez un cirque, nous souhaitions avoir un visuel artistique commun pour la co-création du film. Ainsi, plusieurs éléments ont été imaginés pour que les deux espaces à Montréal et à Victoriaville concordent.
D’abord, les deux salles de création avaient un sol noir afin d’obtenir une continuité entre les deux prises de vue. Les deux plans de caméra étaient également ajustés dans le but de rendre similaires les proportions visuelles; par exemple, cela permettait qu’on regroupe un duo de participant.e.s à distance et que celui-ci soit de la même taille pour incarner un même personnage.
Ensuite, les concepteurs.trices sont allé.e.s chercher un effet visuel convaincant grâce aux choix des accessoires et des costumes. L’artiste Annie St-Jean a d’abord envoyé des photos d’inspirations visuelles à chaque participant.e.s des deux villes afin que ceux et celles-ci aient des influences similaires comme point de départ.
Elle a ensuite conceptualisé des accessoires en noir et blanc, qu’elle a fait parvenir aux deux équipes afin d’avoir des éléments communs durant les deux tournages.
Les jeunes participant.e.s de Montréal et de Victoriaville avaient eu comme consigne de départ de porter des costumes en noir et blanc. Bien que le mot ne se soit pas rendu à toute l’équipe de Montréal où les jeunes avaient finalement majoritairement des vêtements colorés, l’effet visuel amplifiait alors la différence entre les équipes : un côté multicolore et l’autre en noir et blanc.
Dans chaque ville, chacun des animateurs.trices avaient un micro-casque afin d’être mobile dans l’espace et simultanément pouvoir garder le contact avec le groupe à distance.
Les deux responsables de l’animation avaient défini leur rôle au préalable : l’animateur à Montréal s’assurait de la création du court-métrage alors que l’animatrice à Victoriaville s’assurait de la direction artistique. Ainsi, la création alternait fluidement entre la conceptualisation des formes et la captation des images dans le logiciel.
C’est donc par les voix des animateurs.trices dans chaque ville que les participant.e.s étaient dirigé.e.s. Également, un micro était disposé face à une caméra sur le côté pour les jeunes qui désiraient communiquer avec l’autre équipe, mais celle-ci a été moins utilisée puisqu’elle était plutôt éloignée de l’action.
Il s’est avéré très efficace de déterminer les rôles en alternance pour les participant.e.s. Certain.e.s avaient les rôles d’interprètes et d’autres de metteurs.euses en scène ou de technicien.e.s et d’accessoiristes.
En définissant leurs rôles et en sollicitant leur créativité, les participant.e.s étaient engagé.e.s davantage dans le processus. Cela permettait aussi d’impliquer des jeunes qui ne souhaitaient pas apparaître à l’écran. Plusieurs parents ont également offert leur aide, ce qui a facilité le processus de création. Enfin, pour partager certaines idées au groupe, plusieurs enfants ont dessiné leur scénario autour de l’imaginaire du cirque.
À la fin de la journée de création, les deux groupes de participant.e.s à Montréal et à Victoriaville ont visualisé simultanément leur court métrage; l’équipe de conception a utilisé la seconde caméra qui filmait l’animateur en la disposant devant l’écran pour organiser une discussion face à face entre les deux groupes à distance.
Il est à noter que la durée de deux heures pour l’entièreté de l’atelier est insuffisante pour permettre aux jeunes d’assimiler le concept du jeu, de la téléprésence et de la technique d’animation image par image. Dans le cas de Créez un cirque, c’était aussi un très court délai pour produire un court métrage. Une journée complète aurait été mieux adaptée pour ce type d’atelier!
Tshimushuminuts est un projet de spectacle qui a la capacité de s’adapter à différents espaces, contextes et situations technologiques. Ce projet porte en son cœur la rencontre avec des aîné.e.s autochtones de territoires différents et propose au public de participer en posant des questions à ceux et celles-ci. Dans une des premières versions du spectacle, les aîné.e.s autochtones étaient projeté.e.s en salle de spectacle à un public grâce au logiciel Skype, et ce, en direct de leurs communautés. Dans cette version imaginée avec le logiciel SCENIC, les artistes du projet ont imaginé une rencontre entre un aîné d’une communauté proche de Sept-Îles et une aînée d’une communauté à proximité de Montréal. L’équipe artistique a cherché à mettre en place une installation afin d’optimiser les interactions en chassé-croisé entre les aîné.e.s et les publics des deux territoires distincts.
Grâce à la téléprésence, la rencontre entre les territoires était tangible. Le public réuni à la salle Jean-Marc Dion à Sept-Îles provenait également des communautés de Uashat et de Mani-Utenam. Au Théâtre Outremont à Montréal, le public était majoritairement composé d’allochtones. Le spectacle a ainsi mis de l’avant une diversité de points de vue et de questionnements. Le besoin de connexion avec différentes communautés sur le territoire autochtones a rendu l’expérience nécessaire et particulièrement cohérente avec l’utilisation de la téléprésence.
Pour l’occasion, l’équipe a conçu un espace semblable à une agora, où les publics se sentaient à l’aise pour poser leurs questions.
Les interrogations posées aux aîné.e.s ont couvert un large spectre de thématiques, tant sur leur rapport avec les allochtones, les métis et les autochtones que sur des enjeux comme la fidélité, l’amour et la consommation.
Les deux aîné.e.s participant.e.s ont été positionné.e.s côte à côte sur scène. Sur chacune des scènes, l’aîné.e présent.e était placé.e à 45 degrés d’un côté alors que l’aîné.e à distance était assis sur une chaise et apparaissait sur un écran de télévision à la verticale de l’autre côté dans l’espace.
Les dimensions égales des deux espaces scéniques ont facilité la relation entre les lieux et ont ainsi favorisé l’échange. Bien que le Petit Outremont à Montréal soit un espace beaucoup plus petit que la salle Jean-Marc Dion à Sept-Îles, l’équipe a convenu de reconstituer les dimensions de la plus petite salle dans la seconde.
Les deux publics à Montréal et sur la Côte-Nord se faisaient face : une caméra au centre de la scène filmait la salle en plan large.
Grâce aux dimensions du public et à la position de la caméra, le plan large donnait l’impression que l’autre public se positionnait de l’autre côté de la scène. Ce face-à-face mis en place dès l’entrée des publics en salle a certainement créé une union entre ceux-ci.
Une fois cette relation bien établie, il était possible de faire un gros plan sur une personne du public qui prenait la parole. Ainsi, l’expression du visage était visible et la personne pouvait mieux communiquer ses intentions à distance.
Cependant, puisque le public distant était projeté derrière l’aîné.e sur scène, la disposition n’a pas optimisé la relation entre l’aîné.e et le public; un moniteur face à l’aîné.e aurait amélioré celle-ci.
Un autre élément essentiel dans l’interaction entre les deux salles est que chaque public était accompagné par un.e médiateur.trice. Ainsi, les deux médiateurs.trices ont permis une fluidité entre chaque prise de parole. Sans caméra spécifique dirigée sur elles ou eux, les médiateurs.trices dirigeaient avec leurs voix ou devaient aller devant une caméra pour être vu.e.s par l’autre salle.
ASTUCES :
Dans un événement où sont impliqué.e.s des animateurs.trices ou des médiateurs.trices, il est pertinent de prendre le temps d’observer avec elles et eux l’espace et le cadrage des caméras avant le début de l’activité. De cette façon, elles et ils sauront mieux où se diriger pour interagir avec l’autre salle à distance!*
Le projet Masq’ensemble a été conçu par Ghislaine Grante Grante, une artiste spécialiste du jeu masqué ainsi que René Barsalo, un concepteur numérique. Cette installation originale a été imaginée dans le but de faire de la création avec des jeunes dans le cadre du Festival Masq’alors à Saint-Camille. Au courant de la semaine de relâche, deux groupes de jeunes participant.e.s de Rimouski et de Saint-Camille se sont réunis en téléprésence. Elles et ils ont pu fabriquer des masques à l’aide de matériaux recyclés et ainsi travailler l’expression du corps à travers le jeu masqué et créer une œuvre collective qui a été présentée devant public. L’équipe de création du projet avait comme intention artistique d’inventer un espace ludique, intuitif et propice à la co-création d’une œuvre masquée, dans laquelle le public avait un point de vue unique sur le spectacle.
Avec ce projet, les concepteurs.trices ont inventé une réelle machine à jouer, dans laquelle les jeunes peuvent s’approprier le dispositif. La base de l’installation consiste à installer un écran entre les jeunes interprètes et le public, visible de part et d’autre. En utilisant la technique d’incrustation sur fond vert, les deux lieux sont réunis sur l’écran. Tel un castelet, le public a accès au résultat final de la création, alors que les jeunes interprètes fabriquent les images en direct, caché.e.s derrière l’écran.
Grâce à la technique d’incrustation vidéo, les jeunes ont pu dessiner leurs accessoires ainsi que les décors qui apparaissaient derrière elles et eux. Il s’agissait ainsi de bien définir les dimensions afin que les interprètes donnent l’impression d’habiter le lieu imaginé.
Puisque le logiciel d’effet vidéo est programmé pour que tout ce qui est de couleur verte devienne invisible, plusieurs effets de jeu sont possibles.
Ceux-ci peuvent parfois donner lieu à des résultats magiques, comme l’apparition ou la disparition d’accessoires, de personnes ou de parties du corps.
Les jeunes interprètes ont entre autres manipulé des morceaux de tissus verts afin de créer des capes d’invisibilité et l’effet fut fort apprécié.
Du point de vue du public, bien qu’il soit annoncé que les jeunes interprètes proviennent de deux villes différentes, on donne l’illusion que celles et ceux-ci se retrouvent dans le même espace.
Pour les interprètes, ce jeu d’illusion a nécessité un travail de composition corporelle où elles et ils doivent par exemple jouer avec des personnages invisibles à leurs côtés, mais visibles sur l’écran devant eux.
Après le spectacle, le public a été invité à découvrir les coulisses et ainsi constater comment se fabriquaient les saynètes et de quelle ville provenait chaque personnage. Certain.e.s spectateurs.trices privilégié.e.s qui étaient assis.e.s sur les côtés de la salle ont cependant apprécié avoir un point de vue sur les coulisses durant le spectacle. Deux points de vue ont alors été possibles : d’un côté, un regard sur la mécanique d’un groupe d’interprètes et de l’autre, l’illusion magique du résultat final.
Pour ajouter au spectacle, les jeunes interprètes de Rimouski assuraient la conception sonore en créant un bruitage pour accompagner le jeu. Puisque le son provenait d’un seul lieu, l’opération sonore a ainsi été facilitée.
Il est à noter que lorsqu’il est question de jouer avec la technique d’incrustation vidéo, il est nécessaire d’avoir de très larges surfaces vertes comme toile de fond et même idéalement sur les planchers, afin d’avoir une liberté de mouvement et de déplacement pour les interprètes. Plus la surface verte est étroite, plus la largeur du cadre de caméra sera limitée, voire contraignante !
Un aspect primordial de la réussite de ce projet s’incarne dans l’attention portée sur la cohésion entre les jeunes interprètes. À cet effet, les animatrices ont organisé des activités préparatoires durant lesquelles les participant.e.s apprenaient à connaître l’autre ville, sa position géographique, ses activités, son environnement, son nombre d’habitants, etc. Ensuite, afin que l’entièreté de la troupe soit unie, les deux groupes ont fait des jeux ensemble dans le but d’apprendre à se connaître. Durant cinq jours, en étant connecté.e.s en tout temps, les jeunes interprètes ont pu créer une réelle cohésion d’équipe en étant engagé.e.s et complètement immergé.e.s dans l’expérience.
Avec l’installation intuitive, les jeunes ont bien compris le rapport à l’autre salle; certains jeux entre les deux groupes, comme la création d’un corps à deux participant.e.s, ont permis de développer rapidement la compréhension du travail à distance.
Un autre aspect qui a nourri le succès de Masq’ensemble a été la confiance que les animatrices se portaient l’une envers l’autre. Elles avaient une bonne complicité pour organiser la gestion du temps : elles ont su bien s’entendre sur la durée de chaque étape et se réajuster au besoin. Également, les ajustements techniques et les pertes de contact sont envisageables et la bonne relation de confiance entre les animatrices devient un outil essentiel à cet effet.
En plus d’être bien encadré.e.s pour l’organisation du temps, les jeunes des deux groupes à distance ont pu communiquer facilement entre eux. D’abord, l’installation avec les caméras et les éclairages permettait aux deux groupes d’avoir une bonne visibilité sur l’autre espace à distance. Ensuite, l’outil utilisé pour faciliter la communication, le micro Catchbox, s’est avéré très efficace. Il s’agit d’un micro qui peut être lancé d’une personne à l’autre, afin de permettre à plusieurs de prendre la parole efficacement et rapidement. Sans fil, il permet une belle réactivité pour la communication entre les groupes.
À ce propos, les participant.e.s ont vite compris la mécanique liée au micro Catchbox et ont assuré les prises de parole successives avec leadership. Ensemble, elles et ils ont pris le temps de s’écouter; le fait d’avoir un seul micro a permis d’être très attentif aux différents tours de parole et a d’ailleurs permis de diminuer l’effet d’écho. Toutefois, l’animatrice responsable de la mise en scène a dû ajouter un micro-casque durant la semaine de création afin de faciliter ses tâches. Il a alors fallu être davantage vigilant.e.s face à l’attention des jeunes et pour la gestion technique du son.
Du côté de la technique visuelle, les jeunes participant.e.s ont alterné entre quatre scènes dans le logiciel d’effets vidéos, et ce, pour l’entièreté de l’atelier. La première scène était un face-à-face pour les moments de discussions. Ensuite, les groupes enchaînaient avec deux scènes moitié-moitié, d’abord en format vertical puis en format horizontal, afin de créer des personnages grâce à deux participant.e.s à distance.
Pour conclure, celles et ceux-ci expérimentaient la scène finale avec l’incrustation vidéo pour créer ensemble des saynètes avec un décor préalablement dessiné. Pour cette scène, les deux responsables techniques devaient afficher en tout temps la même scène pour que les jeunes puissent créer à partir d’une image commune.
Il est à noter que lorsqu’une personne responsable de l’animation utilise un micro-casque, il est primordial que celle-ci ait accès au contrôle de son appareil. Ainsi, elle pourra l’éteindre lors des communications avec l’équipe locale et l’allumer pour communiquer avec les groupes à distance. Sans contrôle du micro-casque, il y a un risque de surcharger les prises de parole et ainsi perdre l’engagement des équipes
Le projet Isidore Remix s’est développé durant trois résidences et un premier spectacle devant public à la suite de la dernière. Les artistes du projet souhaitaient valoriser l’œuvre d’Isidore Soucy dans un mariage mêlant technologie et musique traditionnelle. Leur but était de faire interagir à distance deux groupes de spectateurs.trices à Rimouski et à Alma, propulsés par l’univers de la musique traditionnelle. Ainsi, en plus d’imaginer des façons de jouer de la musique à distance, les artistes ont développé une technique pour faire chanter et danser deux groupes à distance et même, de faire danser une marionnette d’un « être gigueur », dirigé à distance.
Les créateurs.trices d’Isidore Remix ont imaginé différents schémas d’installation avant de conceptualiser le dispositif final. Partant de l’intention de diriger le regard des artistes vers le public la majeure partie du temps, le premier schéma dessiné positionnait un petit écran vidéo devant les artistes sur scène afin que celles et ceux-ci puissent voir les artistes à distance. Pour sa part, le public pouvait apercevoir les artistes sur un écran en fond de scène.
Cette installation permettait aux artistes d’être toujours face au public, sans avoir à se retourner. Cependant, l’interaction entre les parties était peu intuitive, en plus d’être peu visible pour le public. Les artistes ont donc modifié l’installation en ajoutant un écran en angle sur la scène. Ainsi, le même écran permettait de voir les musicien.ne.s à distance, tant pour le public que pour les interprètes sur scène.
Cette méthode s’est avérée très efficace pour la facilité de communication entre les différentes parties et pour la clarté de la situation en téléprésence pour le public.
Cependant, un compromis demeurait : les musicien.ne.s pouvaient avoir une vision légèrement déformée et certain.e.s spectateurs.trices assis.e.s à l’extrémité de l’écran n’avaient pas un point de vue optimal.
À cette installation s’ajoutait un écran sur le côté du public. Celui-ci était utilisé à certains moments afin de projeter le public à distance. À Rimouski, l’écran était à gauche du public alors qu’à Alma, l’écran était positionné à sa droite. De cette façon, il pouvait y avoir une communication visuelle entre les deux publics à distance.
Pour chaque pièce musicale, l’équipe déterminait quel flux vidéo était envoyé dans chaque écran. Pour sa part, la conceptrice vidéo envoyait ses créations visuelles en alternance sur l’écran sur scène ou sur l’écran positionné dans le public.
Étant donné que le phénomène de latence est inhérent à la téléprésence, les musicien.ne.s du projet ont imaginé différentes façons de travailler avec cette contrainte.
Pour la majorité des pièces musicales, les artistes ont utilisé la technique de la cascade : la première salle jouait une partition qui est ensuite envoyée à la deuxième salle. Cependant, cette technique implique que la première salle n’entend pas la deuxième. Au cours du spectacle et en fonction des pièces musicales, les créateurs.trices ont donc alterné entre celles et ceux qui jouaient seul.e.s et celles et ceux qui jouaient avec les deux flux audios. Du côté de la salle où l’artiste joue seul.e, l’équipe utilisait l’écran afin de diffuser l’imagerie interactive de la VJ plutôt que de projeter les musicien.ne.s inaudibles à distance.
Une autre façon de jouer avec les contraintes a été d’appliquer la technique de questions-réponses pour la chanson À l’an 2033. Ainsi, le court délai de latence est camouflé dans le passage d’un.e interlocuteur.trice à l’autre. De plus, grâce à la nature lyrique et les attaques molles de la chanson, il devenait plus facile d’oublier la latence. En performant cette chanson au début du spectacle, le public pouvait ainsi naturellement s’initier au contexte de téléprésence et à la compréhension des enjeux de latence.
De ce fait, la chanson à répondre a donc été divisée entre les publics d’Alma et de Rimouski. Chaque public avait son moment défini pour chanter sa partie et prenait ainsi conscience de la présence de l’autre public. Ce procédé a alors mis en lumière un autre questionnement : comment identifier le public qui doit répondre ? La caméra étant de face, lorsque les deux groupes d’artistes pointaient devant eux, ceux-ci semblaient solliciter les deux publics distincts à la fois. Afin de solutionner cet enjeu, il a donc été question de lever une affiche indiquant « Alma » ou « Rimouski » au moment d’obtenir une réponse chantée.
Pour faire danser les deux salles ensemble, l’équipe a orienté les danseurs.euses face à l’écran qui projetait le public à distance.
De cette manière, la ligne de danseurs.euses créait l’illusion de s’allonger vers l’autre lieu. Le « calleur » expliquait le procédé et « callait » les mouvements pour les deux groupes à partir de Rimouski. Plaçant le premier couple de chaque ville au bord de l’écran, il était donc facile d’orienter et de diriger les danseurs.euses des deux villes de manière synchronisée.
Les artistes d’Isidore Remix avaient auparavant développé un « être gigueur » connecté et dirigé par une planche de podorythmie.
Pour cette expérience, c’est la planche de podorythmie située à Alma qui dirigeait la marionnette située à Rimouski. De plus, le musicien de Rimouski avait lié son ordinateur au signal MIDI de la planche à distance. Celui-ci avait programmé des notes de bases différentes en fonction des pas sur la planche (talon, pointe, gauche et droite) afin que la podorythmie devienne musicale et interactive. Parallèlement, la VJ avait programmé des images qui apparaissaient en fonction des mouvements sur la planche.
Pour que le public comprenne bien ces interactions, les artistes ont pris le temps d’expliquer étape par étape la connexion entre les objets et la musique.
D’abord, ils ont présenté l’ «être gigueur » pour ensuite présenter le fonctionnement de la planche connectée. Par la suite, les artistes créateurs.trices ont présenté la gigue à distance grâce à une démonstration et ont également précisé comment la vidéo entrait en interaction avec la planche. Enfin, les artistes ont ajouté les notes de musiques programmées pour compléter le dispositif. C’est donc grâce à une bonne compréhension du dispositif et de processus de création que le public a pu apprécier tous les éléments musicaux et visuels réunis.