Pour concevoir un projet en téléprésence, il est essentiel de bien définir son intention et de la mettre en oeuvre en tenant compte de l’expérience globale; la conception de l’espace doit s’effectuer selon une vision artistique cohérente pour tous les points de vue – en présence, comme à distance. Cette vision d’ensemble doit inclure tous les lieux connectés et considérer tant les caractéristiques spatiales des espaces physiques exploités que leurs représentations respectives. Le travail de pré-production scénique qui en découle peut devenir assez complexe et nécessite souvent l’implication des responsables techniques de chaque lieu. En effet, pour bien évaluer les possibilités scéniques qu’offre chaque espace, le plan de salle ne suffit pas; l’interaction avec une personne physiquement présente permet d’avoir une idée plus juste des contraintes réelles d’un espace. Pour résumé, voici une liste de recommandations pour bien préparer la mise en scène des espaces impliqués :
Réflexions:
Le type d’espace, sa configuration, sa grandeur influent tous sur l’expérience de téléprésence entre les lieux. Il est important de déterminer s’il est souhaitable d’avoir une expérience similaire ou différente pour chaque lieu impliqué. De façon générale, plus on a recours à une disposition symétrique entre les lieux – telle qu’une disposition en face-à-face – plus on tend à reproduire les conditions similaires à une communication naturelle entre les parties. En l’occurence, la disposition en miroir est idéale dans les cas où l’emphase est mise sur la rencontre et l’échange entre personnes. À l’inverse, des artistes pourraient aussi choisir de créer des espaces complètement différents, soit pour créer une expérience unique dans chacun des lieux ou pour donner une impression plus ambiguë quant à la nature du lieu distant.
Au théâtre, les plateaux inégaux servent souvent à manifester une différence dramatique entre les espaces en jeu, tandis que les plateaux égaux donnent plutôt l’impression d’un rapport dramatique équivalent ou équilibré.
Dans le spectacle Tshimushuminutsh, Les deux plateaux sont égaux; l’expérience est semblable et les deux intervenants-es sont dramaturgiquement égales.
Au cinéma, lorsque l’axe optique de captation de la caméra n’est pas à l’horizontal, les prises de vue sont alors soit en plongée ou en contre-plongée :
En téléprésence scénique, ces stratégies, issues du théâtre comme du cinéma, peuvent être combinées.
Exemples :
La projection visuelle à échelle humaine et l’échange de regard favorisent l’impression de présence en reproduisant les conditions naturelles d’une conversion en personne. En opposition à cette sensation, le travail sur les différentes grandeurs de projection donne des rapports différents entre les personnages. Par exemple, le gros plan d’un performeur crée souvent un rapprochement avec le public et une relation différente avec le corps physique plus petit sur scène. Le mouvement des caméras et les changements de plan plus typiques du cinéma viennent ajouter une narration plus omnisciente par l’image.
Réflexions :
En téléprésence, il est généralement souhaitable de reproduire une interaction qui semble naturelle entre les personnes physiquement présentes et celles distantes. La projection visuelle à échelle (taille) humaine et l’interaction des regards, par exemple, sont des stratégies qui favorisent tous une sensation de présence par effet de réalisme.
L’effet de réalisme (ou de mimésis) est fondé sur le processus cognitif de nature anthropomorphe et qualifie toute stratégie ou tout aspect d’une interaction étant ancrée dans des situations ou des paramètres cognitifs rencontrés dans le monde réel. L’effet de réalisme - soit, la reconnaissance subjective d’un certain niveau de vraisemblance - tend donc à offrir un contexte propice à l’adoption d’une conduite interprétative mimétique généralement inclusive et suffisamment intelligible pour le commun des mortels.
C’est pourquoi, les dispositifs de téléprésence les plus fréquement employés tendent à reprendre, autant que possible, les codes habituelles de la communication interpersonnelle, afin de minimiser l’écart immersif induit par l’intermédiaire d’une technologie de télécommunication. Ils permettent notamment d’optimiser l’empathie, la proprioception et reproduisent plusieurs éléments de la communication naturelle en présence physique.
Cependant, étant donné que les architectures des lieux connectés ne sont jamais identiques, il est souvent préférable, voire nécessaire, de jouer avec les différences dans la mise en place.
Exemples :
En 1993, l’installation Telematic Dreaming de Paul Sermon donne la sensation que des participants de lieux distants sont assis sur le même lit;
Dans la création Bluff est un exemple où à plusieur moments une communication semble naturelle et les protagonistes semblent être côte-à-côte.
Voici les éléments observés:
En fonction des objectifs à atteindre, différents équipements peuvent servir, voire être nécessaires, à la réalisation de projets en téléprésence : caméras, projecteurs, surfaces de projections, micros, moniteurs audio, adaptateurs, câblage, éclairages, systèmes informatiques, logiciels, capteurs de mouvements, actuateurs, objets connectés et plus encore.
En téléprésence, la captation et la projection vidéo sont des aspects importants. Les images des lieux et des sujets doivent être transmises puis visibles dans les autres lieux.
Le type de caméra, son positionnement, le cadrage utilisé ou encore ses réglages vont influencer la qualité de l’image.
Réflexions :
Pour en savoir plus sur les aspects techniques de l’affichage vidéo, consultez la section Utiliser le type de caméra approprié des Bonnes pratiques techniques en téléprésence.
L’emplacement des caméras – que celles-ci soient situées sur scène ou dans la salle, opérées de manière fixe ou mobile – est une décision tout-à-fait déterminante.
Si les caméras et les surfaces de projection demeurent fixées au même endroit tout au long de la représentation, il faut s’assurer de configurer l’espace afin que les caméras ne nuisent pas à la visibilité du public ou des surfaces de projection.
Ce type d’installation a l’avantage d’offrir au public un repère constant, clair et compréhensible. L’absence de mobilité des caméras favorise également l’impression de «fenêtre» virtuelle sur l’espace distant et est moins suceptible de briser l’effet de coprésence que la stabilité visuelle permet d’instaurer entre les lieux. En effet, tout mouvement de caméra rappelle au public son existence et que l’expérience médiatique n’est pas intentionnellement neutre.
L’emploi de caméras mobiles, en contrepartie, nécessite que l’on accepte que l’appareillage technique soit parfois visible et qu’il puisse même jouer un rôle dans la chorégraphie générale. Qu’elles soient manipulées par les interprètes ou par un opérateur-rice, à l’épaule ou à distance (caméras robotiques), les caméras mobiles permettent d’élargir les possibilités de plans et de cadrages. À titre d’exemple, un plan large offrira un point de vue générale de l’espace, tandis qu’un plan rapproché favorisera une impression d’intimité avec l’interprète.
Dans le spectacle Bluff, à certains moments, la caméra est positionnée face au public de sorte à avoir l’interprète à échelle 1:1 en premier plan et le public derrière. Ainsi, on installe une grande assemblée en 360 degré où les publics se voient entre eux.
Pour créer un espace où la communication entre les lieux est la plus naturelle possible, quelques recommandations de base s’appliquent :
Il existe plusieurs logiciels de traitement vidéo pour développer une composition d’images optimale pour la téléprésence, dont Studio OBS (intégré à la station SCENIC), Modul8, Madmapper, Millumin, Resolume. Avec SCENIC, le traitement vidéo peut se faire en temps réel sur le flux d’images et être ensuite envoyé aux différents lieux connectés. Pour cumuler des caméras sur une même entrée vidéo, l’ajout d’un sélecteur vidéo est requis.
L’utilisation de différents types d’écrans de projection permet de spécifier l’intention artistique. On peut ainsi développer des scénographies où les surfaces de projection ont différents degrés d’opacité, différentes formes et textures.
Voici quelques exemples d’effet scénographiques possibles en fonction du type de surface de projection :
Dans le spectacle Onirisme, l’artiste Isabelle Clermont utilise du spandex comme élément de décor pour créer une relation tactile avec la projection vidéo.
L’écran D.E.L est utilisé par la metteuse en scène Françoise Dancause dans dans son spectacle CorresponDanse de guerre pour filmer des personnages de l’autre lieu.
Les écrans peuvent être positionnés de différentes façons dans l’espace et leur dimension influence grandement l’expérience vécue. Souvent, les salles sont équipées d’un grand écran en fond de scène. Bien que sa dimension permette d’avoir un grande surface, il faut user de créativité pour que les interprètes interagissent avec une projection qui se trouve derrière eux. L’utilisation d’écran dans l’espace de jeu permet une relation plus facile entre le sujet présent et distant. Par exemple, un écran de la taille d’un humain et positionné à la verticale sur scène renforce l’illusion de la présence réelle de protagonistes situés dans un autre lieu et les personnes sur scène interagissent alors plus naturellement avec la projection. Dans les premières explorations du projet Bluff, de simples supports à oriflammes étaient utilisés.
Pour en savoir plus sur les aspects techniques des surfaces de projection, consultez la section Utiliser le type d’affichage vidéo approprié des Bonnes pratiques techniques en téléprésence.
Selon les surfaces disponibles, le type de projection peut varier. À moins d’utiliser des logiciels de mappage (mapping) vidéo, il faut s’assurer de pointer le fasceau du projecteur directement vers l’écran, que ce soit une projection de face ou en rétroprojection. Il faut également tenir compte que certaines salles n’offrent pas tous la même flexibilité quant à l’emplacement des projecteurs et leur distance de la surface de projection.
Pour en savoir plus sur les aspects techniques de la projection vidéo, consultez la section Utiliser le type d’affichage vidéo approprié des Bonnes pratiques techniques en téléprésence.
Intégrer une ou plusieurs projections vidéo à la scène requiert un juste équilibre entre l’éclairage de scène, nécessaire pour que les caméras captent une image de bonne qualité, et celles des projections lumineuses sur les écrans. Le bon calibrage de la lumière sur les sujets sur scène en fonction de la puissance de la projection s’avère un défi récurrent qu’il ne faut pas négliger.
Pour en savoir plus sur les aspects techniques de la projection vidéo, consultez la section Utiliser le type d’éclairage approprié des Bonnes pratiques techniques en téléprésence.
En téléprésence, le son doit être capté, traité et compressé avant d’être transmis vers le ou les autres lieux. Idéalement, on prévoit un micro (hypercardioïde, unidirectionnel ou dynamique) par participant et pour éviter les larsens (feedbacks), les micros omnidirectionnels sont proscrits. Il est difficile donc de capter le public dans son ensemble. Dans certains projets, où il y a des interventions du public, l’option d’utiliser un micro mobile peut être intéressante. Par exemple, un micro de type Catchbox peut être lancé aux participants désirant s’exprimer.
Dans le projet Masq’ensemble, les jeunes ont utilisé un micro de type Catchbox pour facilement se passer la parole.
Bien que le délai de transmission (latence) inévitable en diffusion entre les lieux limite le phénomène de récursion sonore à l’origine des larsens, il entraîne un phénomène d’écho. À l’instar du larsen, plus un son est diffusé par les haut-parleurs et capté par les microphones à un niveau élevé, plus le système amplifie le phénomène d’écho.
Pour contrer l’écho, il faut maintenir un écart dynamique suffisamment grand entre le son désirable (ayant un niveau sonore plus fort) et les sons indésirables (ayant un niveau sonore plus faible), afin d’optimiser l’efficacité de la gate («porte à bruit»), appliquée sur chaque tranche du mixeur sonore recevant un signal microphone. On y parvient en éloignant les haut-parleurs principaux et en les orientant en direction opposée aux microphones. Inversement, on positionne les microphones le plus près possible de la source pour garder un faible niveau de gain d’entrée.
Pour en savoir plus sur les aspects techniques de la captation et de la réception de signaux audio, consultez la section Audio des Bonnes pratiques techniques en téléprésence.
La répartition des sources sonores dans l’espace, sur un certain nombre de haut-parleurs, procure généralement une meilleure expérience d’écoute à l’auditoire. Elle favorise l’immersion et préserve une cohérence entre l’image et le son. Par exemple, si on positionne la source sonore qui transmet la voix d’une personne située dans une autre salle à l’endroit où son image est projetée, on aide l’auditoire à mieux déterminer l’origine de la voix, en plus de faciliter son décodage par la vision des lèvres.
Pour en savoir plus sur les aspects techniques de la diffusion sonore en salle, consultez la section Spatialiser les sources sonores des Bonnes pratiques techniques en téléprésence.