En une phrase, la téléprésence scénique est une forme d’art vivant impliquant l’interaction entre des individus géographiquement séparés. Le plus souvent, cette interaction est rendue possible par l’entremise d’un dispositif technologique permettant d’établir une communication quasi-immédiate entre différents lieux.
De nos jours, les dispositifs de téléprésence impliquent systématiquement une connexion internet pour créer un événement virtuel commun. L’intérêt de cette pratique est de joindre plusieurs espaces géographiquement distincts par la reproduction – quoique partielle – de ceux-ci par différents moyens techniques. Le principal objectif d’un tel dispositif étant de favoriser la sensation ou l’effet de présence chez des individus physiquement séparés afin de donner l’impression que ceux-ci sont réunis au sein d’un espace commun.
La téléprésence demande que les sens du ou des individus impliqués soient soumis à des stimuli – le plus souvent audiovisuels, mais parfois aussi haptiques – en provenance d’un site distant et de pouvoir interagir de la même façon avec celui-ci. Ainsi, la position, les mouvements, les actions et les paroles des individus peuvent être perçues, transmises et dupliquées en temps réel vers la destination voulue, afin de rendre l’interaction effective.
Julien Brun, un metteur en scène qui se spécialise en téléprésence, la définit ainsi:
«La téléprésence, c’est une présence à distance, l’utilisation d’outils numériques au service de la rencontre d’êtres vivants que la distance géographique sépare.» Julien Brun
La téléprésence scénique se distingue de la forme plus répandue de téléprésence - soit la visioconférence - en portant une attention plus approfondie sur l’effet de présence, rendu possible par le dispositif technique. Alors que l’utilisation de la visioconférence s’est généralisée pour permettre à plusieurs individus éloignés de se rencontrer virtuellement, dans une configuration en face à face, la téléprésence scénique, quant à elle, s’intéresse aux configurations de rencontre plus étendues - notamment les arts vivants notamment - et impliquant souvent le.s corps tout entiers, voire une portion d’un espace ou d’une scène. Autre aspect notable distinguant la téléprésence scénique de la visioconférence est le niveau de qualité et de stabilité supérieur des stimuli sensoriels transmis entre les sites impliqués.
Consultez la section À propos de la téléprésence scénique pour en savoir plus.
Pour qu’un projet en téléprésence soit pleinement interactif, il est recommandé d’établir une interdépendance entre des éléments scéniques des différents lieux. Parce que l’intérêt du public est stimulé lorsque tous les lieux connectés ont une fonction précise et nécessaire dans l’événement, chaque espace connecté en téléprésence doit être signifiant et en constante interaction avec les autres.
Dans une oeuvre dramatique, par exemple, une entité dans un lieu X a besoin d’interagir avec une entité dans un lieu Y pour faire progresser sa quête. Lorsqu’il y a des textes dans l’oeuvre, le dynamisme de la relation entre les lieux est notamment optimisé lorsque les phrases sont courtes. Le monologue est une forme possible, mais il est important de considérer ce qui se passe dans les autres lieux où l’interprète du monologue n’est pas physiquement présent. Les récits sont ainsi composés de plusieurs réalités parallèles et peuvent mettre en jeu différents moyens d’expression simultanés (images, lumières, sons, voix, mouvements, etc.)
Dans une situation plus ludique, comme un jeu en téléprésence – où chaque équipe est dans un lieu différent, mais partagent une surface de jeu virtuelle commune qui n’existerait pas sans le dispositif de téléprésence --, les deux espaces seraient aussi complètement interdépendants; le jeu serait impossible sans l’autre lieu. Peu importe si les participants de chaque lieu sont des rivaux ou collabore en équipe. Le public constate alors immédiatement le rapport à l’autre lieu et l’interactivité en direct.
Lors de la Nuit Blanche 2020 à la SAT, les gens ayant participé au jeu de Tic-Tac-Toe en téléprésence ont pu expérimenter un exemple inspirant de l’interdépendance. Deux espaces connectés et situés à deux étages distincts de l’immeuble partageaient une surface virtuelle commune du célèbre jeu. Les participants du haut jouaient avec les «X» et ceux du bas plaçaient les «O». Les deux espaces étaient ainsi complètement interdépendants; le jeu était impossible sans l’autre lieu. Le public par sa participation comprenait alors immédiatement le rapport à l’autre lieu et le direct de l’activité.
Le jeu d’énigme collaboratif pour enfant Pipoes développé par ABLBLALAB et proposé lors de l’événement à trois salles Bibliomix en est aussi un bon exemple. Dans chaque salle il y avait un groupe d’enfants, séparé en trois couleurs. Donc, les rouges, par exemple, se trouvaient répartis en trois villes. Le but était de faire deviner le plus de mots possibles à son équipe à distance par un mime ou un son. De cette façon, ce jeu proposait une réelle interaction et collaboration entre les salles.
Dans tous les cas, il est essentiel d’avoir une expérience riche et complète, quoiqu’unique, de chaque point de vue, et ce, tout au long du spectacle. Aucun lieu ne doit être négligé; il doit y avoir un équilibre dans l’ensemble.
Réflexions à avoir :
La recherche d’équilibre ne signifie pas que tous les lieux ont un même rôle ou sont des reproductions identiques pour autant. Différentes relations sont possibles, allant de la complémentarité à l’égalité. Voici quelques exemples types :
Dans tous les cas, les rôles peuvent varier, mais l’interaction entre les lieux demeure essentielle, sans quoi il s’agirait d’une simple diffusion, indistincte d’un événement en temps différé.
Dans tous les cas, chaque lieu présente un ou plusieurs individus qui interagireront avec ceux d’un autre lieu. Toutefois, leur rôle et l’importance de leur niveau d’engagement respectif peut grandement varier. Ainsi, chaque lieu peut :
Ces possibilités ne sont évidemment pas mutuellement exclusives et peuvent être combinées. Mais il est essentiel de réfléchir à la manière dont l’interaction prendra place entre les lieux, en se posant quelques questions comme celles-ci :
La technologie de la téléprésence a inspiré de nombreux créateurs et créatrices du domaine des arts vivants et de la scène sur le plan artistique. Certains s’en sont d’abord inspirés pour développer une oeuvre, d’autres ont plutôt employé ce médium pour répondre à une intention artistique. Certains thèmes vont de pair avec la téléprésence et permettent de mettre tout particulièrement en lumière un propos artistique. En analysant quelques œuvres en téléprésence qui ont été portées à la scène, on remarque notamment une récurrence de certains thèmes :
La création CorresponDanse de Guerre aborde la situation de distance où dans un lieu il y a un militaire pendant la première guerre mondiale et de l’autre la famille dans l’attente de son retour.
La téléprésence est un outil fort pour la rencontre de communautés et de groupes. Elle peut notamment servir à la médiation culturelle ou pour des projets à portée sociale. Voici quelques exemples de sujets et contextes à portée sociale ou culturelle ayant utilisé la téléprésence :
Le projet Radio-Ressource est un projet de recherche théâtrale questionnant notre rapport au territoire.
Questions à réfléchir:
Certains porteurs de projet décident de situer les spectateurs en témoin de ce qui se passe. D’autres impliquent les spectateurs jusque dans la décision des actions des acteurs. Ces différents choix de positionnements des spectateurs définissent leur rôle lors des représentations (immersion en voyeur externe ou immersion en voyeur participatif) - Gabrielle Godin
En téléprésence, compte tenu de la nouveauté de l’expérience, le public a besoin de temps avant de maîtriser la situation et les dispositifs. Il doit d’abord comprendre la distance entre les lieux du récit et être sensible tant aux individus physiquement présents qu’à ceux dont les images proviennent d’autres lieux connectés.
Le public doit très tôt saisir quels sont les éléments audiovisuels qui proviennent d’autres lieux et qu’il s’agit d’une transmission en temps réel. Il est bon de lui rappeler régulièrement l’immédiateté de la représentation. L’un des moyens fréquemment employés est de débuter l’événement avec une interaction entre les publics. Lorsqu’on fait intervenir le public, il est important de répondre à son implication. Cet échange permet d’éviter une relation unidirectionnel et plonge le public au coeur de l’action : il comprend que sa présence peut influencer le cours de l’événement en direct.
Par exemple, dans le spectacle Tshimushuminutsh le public est invité, au cours de la représentation, à poser des questions aux aînés autochtones sur scène.
Réflexions :
En téléprésence, il y a toujours un court délai entre le moment où une information est envoyée et celui où elle est reçue. Dans la plupart des cas, cette latence minimale est tout-à-fait acceptable. Mais, dans les cas où la sychronisation fine est importante, comme en musique ou en danse notamment, la latence peut devenir un enjeu considérable susceptible d’influencer le contenu présenté.
Ce court délai est malheureusement inévitable de par la nature de la chaine de transmission : les flux audio vidéo sont d’abord captés, puis encodés numériquement par un système informatique, possédant sont propre «horloge», qui les transmettra par internet vers un ou plusieurs autres lieux; inversement, les flux reçus devront être numériquement décodés par un autre système informatique (autre «horloge») avant de pouvoir être diffusés.
Bien que les signaux audio peuvent être transmis plus rapidement que les flux vidéo - car ils utilisent moins de données numériques - la synchronisation des flux audio avec la vidéo demeure le plus souvent essentielle. C’est pourquoi, le temps de latence global demeure généralement déterminé par celui de la transmission de flux vidéo.
Comme la simultanéité de l’interaction entre les lieux n’est jamais parfaite en téléprésence, il faut donc en prévoir les effets à contrario d’une situation hors téléprésence.
Si la nature des échanges en téléprésence s’effectue généralement sous forme de dialogues – dissimulant ainsi la latence entre chaque intervention --, l’enjeu devient particulièrement apparement lorsque des musiciens ou musiciennes tentent de jouer ensemble en téléprésence. Dans le cas d’une musique moindrement rythmée et au tempo modéré, par exemple, une latence aussi courte que 30 ms peut demeurer perceptible et déstabiliser les instrumentistes et le public. Il existe toutefois quelques stratégies éprouvées pour contourner ou aprivoiser cette latence :
En musique, la notion d’attaque caractérise le début du profil dynamique d’un son produit. Par exemple, une attaque qualifiée de « molle » s’entend comme un renforcement de la résonance - ou de l’atténuation de l’amorce - d’un son; une attaque « douce » présente un profil dynamique plutôt nul, souvent progressif et sans attaque apparente, etc.
En musique, le terme rubato désigne une grande liberté rythmique, soit par le fait d’avancer ou retarder certaines notes d’une mélodie, par rapport à un tempo fixe, selon l’inspiration de l’instrumentiste.
Dans la création du projet Ailleurs Ensemble, un.e artiste ou un duo situé.e à Montréal développe une création musicale métissée avec un.e artiste situé.e à Saint-Camille ou à Rimouski. Chaque duo développe sa méthodologie pour travailler avec la latence. Le duo d’Estelle Charron et Robin Servant explore à l’intérieur d’une même composition, des moments d’alternance et puis de guide et d’accompagnement.
Réflexions :
L’incrustation étant une technique d’effets visuels couramment employée dans le domaine du cinéma, de la télévision et de la photo, elle permet d’intégrer dans une même image des objets filmés séparément, en l’occurence, dans un autre lieu.
Grâce à cette technique, il est donc possible de combiner (superposer) deux lieux distants au sein d’un même espace virtuel de téléprésence – un seul flux vidéo.
La technique d’inscrustation se résume ainsi :
Le choix du fond bleu ou vert s’explique par la quasi-absence de ces couleurs dans la peau humaine. Bien que le fond bleu se rapproche davantage de la couleur complémentaire de la chair, offrant ainsi un contraste de chrominance optimal, le vert est le plus souvent utilisé car il s’agit de la couleur primaire la plus lumineuse en vidéo. En effet, celle-ci permet un meilleur contraste de luminance vis-à-vis du sujet à incruster – notamment, à cause du codage YUV, où le vert est directement rapporté à la luminance (Y ≃ Red + Green + Blue), tandis que le bleu se rapporte également à la chrominance (U ≃ Blue – Y; V ≃ Red – Y).
Réflexions :